Bien être Animal et Humanisme
Lorsqu’en 1974, lors de la campagne pour l’élection présidentielle, apparut sur les écrans de télévision un inconnu en pull-over rouge qui tenant à la
main un verre d’eau déclara : « Je bois ce verre de cette eau précieuse. » La
plupart des gens, moi y compris, se demanda ce que venait faire cet original.
C’était pourtant l’éminent professeur d’agronomie René Dumont, premier
candidat écologiste de France.
Aujourd’hui, on est étonné, intrigué, amusé par le lobbying des végétariens
et des véganes et scandalisé devant les agressions contre les boucheries et
l’on prend de haut l’émergence d’un parti animaliste. Qu’en est-il de ce
phénomène ? En quoi la cause animale diffère-t-elle, s’oppose-telle ou alors
est-elle en lien avec l’humanisme que nous, FF. : MM. : défendons ?
Quand Darwin publie en 1859 son Origine des espèces, la femme d’un
archevêque anglican s’écrit : « Mon dieu, pourvu que cela ne soit pas vrai, et
si ça l’est, pourvu que cela ne se sache pas ! »
Pour tenter de comprendre ce que recouvrent la condition animale et sa
relation éventuelle avec l’humanisme, un certain nombre de faits historiques,
de prises de position philosophiques et de notions scientifiques sont
maintenant nécessaires.
Tout d’abord l’éthologie c’est-à-dire l’étude du comportement animal :
Déjà en 335 avant notre ère, le philosophe grec Aristote énonce dans son
histoire des animaux : « Les différences des animaux se montrent dans leur
genre de vie, dans leurs actions, dans leur caractère aussi bien que dans leurs
parties. » Son étude porte sur les humains, les autres vertébrés, les
mollusques et même les pieuvres.
L’éthologie naît 25 siècles plus tard, avec pour fondateurs les Autrichiens
Konrad Lorenz et Max von Frisch et le Néerlandais Nikolaas Tinbergen. Tous
les trois recevront ensemble le prix Nobel de médecine pour, en outre, leurs
travaux sur les animaux qui éclairent la compréhension des comportements
humains. En parallèle, trois femmes vont créer une nouvelle discipline
scientifique, la primatologie en s’intéressant aux singes dans leurs milieux
naturels, l’une Jane Goudall aux chimpanzés, l’autre Dian Fossey aux gorilles
et la troisième aux orangs-outans.
Aux frontières du langage :
C’est la disposition du larynx et des cordes vocales qui empêchent la
transmission du langage articulé ; Des chercheurs, surtout aux USA, ont
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contourné la difficulté en utilisant et en apprenant à des singes le langage des
signes pour communiquer avec eux. Ceux-ci ont réussi à se servir de
centaines, voire de milliers de mots pour exprimer des envies, des refus ou
des émotions.
Qu’en est-il de la conscience ?
En philosophie, il est fréquent que la thèse de notre absence de
responsabilité envers les animaux soit justifiée par leur absence de
conscience, apparemment rédhibitoire. Toutefois, les avancées scientifiques
récentes invalident largement l’affirmation selon laquelle les animaux ne
seraient pas conscients d’eux-mêmes. En 2012, à l’issue d’un colloque
international de neurologie à l’université de Cambridge, 13 spécialistes
mondiaux du cerveau ont signé une déclaration concernant la conscience des
animaux : « Des données convergentes indiquent que les animaux possèdent
les substrats neuroanatomiques, neurochimiques et neurophysiologiques
des états conscients ainsi que la capacité à se livrer à des comportements
intentionnels. Par conséquent, la force des preuves nous amène à conclure
que les humains ne sont pas les seuls à posséder les substrats neurologiques
de la conscience. Des animaux, notamment l’ensemble des mammifères et
des oiseaux ainsi que de nombreuses autres espèces telles que les pieuvres
possèdent également des substrats neurologiques. »
L’agriculture, la révolution du néolithique :
Amorcée il y a 12000 ans, la maîtrise de la reproduction des plantes puis des
animaux pour l’alimentation marque ainsi la naissance de l’agriculture. Dès
le néolithique, la détention des animaux pour tirer profit de leur viande, de
leurs sous-produits ou de leur force de travail se traduit par le contrôle de
leurs mouvements, de leur alimentation, de leur croissance et de leur
reproduction, ce qui induit enclos, cages, écornage des bœufs, dégriffage des
canards, caudectomie des cochons, des agneaux ou des chevaux, chaponnage,
castration des porcelets, sélection génétique, amélioration des performances
par la zootechnie, etc.
Un autre phénomène intéressant : c’est dans ces mêmes régions d’élevage
qu’apparaissent les grandes religions monothéistes. Si l’islam et le judaïsme
intègrent quelques préceptes encourageant une certaine attention à la
souffrance des animaux, le christianisme accorde aux humains une licence
pour «remplir et soumettre le monde, dominer sur les poissons de la mer, sur
les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur terre. »(Genèse 1 :28).
Les sociétés de chasseurs-cueilleurs du paléolithique se pensaient comme
participant du monde sauvage, comme une espèce animale parmi d’autres.
Les nouvelles religions confèrent à l’humanité un statut exceptionnel, fruit
d’une création séparée, à l’mage du nouveau dieu unique et paternel. Une
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conception du monde que ni la révolution copernicienne, ni le
retentissement des découvertes de Darwin n’ont réussi à ébranler et qui
façonne encore aujourd’hui beaucoup de nos représentations.
L’animal-machine :
La France des XVIIe et XVIIIe siècles a été le théâtre d’une retentissante
controverse philosophique et scientifique : la querelle de l’animal-machine.
Annonciateur du rationalisme des Lumières, René Descartes développe dans
un chapitre du Discours de la méthode une vision mécaniste du monde. Dans
un contexte matérialiste, prolongement des travaux de Galilée, Descartes
estime que la pensée est distincte de la matière et de son support le langage.
« Si les animaux sont dénués de langage, alors il ne peut y avoir chez eux de
pensée » Pour Descartes, les animaux, contrairement aux humains qui sont
pensants et rationnels, les animaux donc sont comparables à des machines.
« Je sais bien que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je
ne m’en étonne pas, car cela même sert à prouver qu’elles agissent
naturellement et par ressorts, ainsi qu’une horloge, laquelle montre bien
mieux l’heure qu’il est que notre jugement nous l’enseigne. » En revanche
Diderot soutient que l’activité mentale des humains peut tout autant se
décrire en termes biologiques que celle des autres animaux. Rousseau,
Voltaire et Condillac s’opposent à Descartes en reconnaissant aux animaux la
sensibilité. « Il est impossible que le mécanisme seul puisse régler les actions
des animaux. Il y a autre chose dans les bêtes que du mouvement. Ce ne sont
pas de purs automates : elles sentent, que si elles sentent, elles sont comme
nous. », affirme Condillac. Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik écrit : « Le jour
où l’on comprendra qu’une pensée existe chez les animaux, nous mourrons
de honte de les avoir enfermés dans des zoos et de les avoir humiliés par nos
rires. »
La protection des animaux :
La première société pour la prévention de la cruauté envers les animaux voit
le jour en 1822 en Angleterre à l’initiative du révérend Arthur Browne et des
députés Richard Martin et William Wilberforce. Ces trois personnages, qui
sont issus des milieux philanthropiques et réformistes de l’Angleterre du
XIXe siècle, sont également engagés dans la lutte contre l’esclavage. Pendant
18 ans, Wilberforce œuvre au sein du Parlement britannique pour l’abolition
légale de l’esclavage qu’il obtient en 1833, trois jours avant son décès. En
France, en 1850, le soutien des abolitionnistes de l’esclavage s ‘avère
également déterminant pour l’adoption de la première loi de protection
animale du pays. Adversaire de la peine de mort et président de la société
française pour l’abolition de l’esclavage, Alphonse de Lamartine aurait
déclaré : « On n’a pas deux cœurs, l’un pour les hommes, l’autre pour les
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animaux. On a du cœur, ou on n’en a pas ! » On retrouve cette filiation
humaniste et altruiste des pionniers de la défense des animaux chez Gandhi,
le docteur Albert Schweizer, Martin Luther King et Jérôme Monod. Et
aujourd’hui chez Angela Davis et Jane Goodall.
En général, lorsqu’on parle de droits, on les associe à des devoirs. Les
théories du contrat social s’appuient sur la notion de réciprocité. Ce qui est
impossible concernant les animaux, incapables d’y consentir et d’en
comprendre les termes. En philosophie morale, tout individu responsable de
ses choix et de ses actions est considéré comme un agent moral. L’absence de
responsabilité morale rend les animaux innocents par définition.
Êtres sensibles :
La notion de sensibilité est au cœur de la question animale. En effet, les
sensations physiques recouvrent une réalité physiologique que nous
partageons avec les autres animaux. Comme nous, les animaux mémorisent
leur vécu sensoriel, développent des préférences personnelles, anticipent
des situations et font des choix en vertu de sensations et d’expériences
passées et à venir.
En France, depuis 1976, l’article L214-1 du Code rural reconnaît les animaux
comme des « êtres sensibles » et enjoint les propriétaires à leur garantir des
conditions de vie «compatibles avec les impératifs biologiques de leur
espèce. » Ce que reprend l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne qui invite les États membres à tenir « pleinement compte
du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles. »
Retournons au XVIIIe siècle. Le philosophe anglais Jeremy Bentham est un
défenseur de la liberté individuelle, de la liberté d’expression, de la
séparation de l’Église et de l’État, de l’égalité des sexes, du droit au divorce,
de la décriminalisation des rapports homosexuels, de l’abolition de
l’esclavage, de l’abolition de la peine de mort, et de l’abolition des peines
physiques, y compris pour les enfants et aussi du droit des animaux Pour ce
qui est des animaux, Bentham nous invite à la réflexion : « La question n’est
pas : Peuvent-ils raisonner ? Ni : Peuvent-ils parler ? Mais : peuvent-ils
souffrir ? » :
Il existe maintenant une norme internationale sur le « bien-être animal ».
Pour chaque animal, il s’agit : – ne pas souffrir de la faim et de la soif, – ne pas souffrir d’inconfort, – ne pas souffrir de douleurs, de blessures ou de maladies, – pouvoir exprimer les comportements naturels propres à son espèce, – ne pas éprouver de peur et de détresse.
Au niveau européen, il existe tout un arsenal de lois qui encadrent la
détention et l’utilisation d’animaux en élevage, en laboratoires, en abattoirs
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ou en cours de transport. Mais l’application de ces lois se heurte aux intérêts
économiques de chaque pays.
En ce qui concerne l’éthique animale, deux conceptions s’opposent. Les uns
dénommés abolitionnistes sont partisans de la fin de l’exploitation des
animaux, les autres, les welfaristes (de l’anglais welfare signifiant le bien
être) luttent pour l’amélioration de leurs conditions d’utilisation. D’autres,
dans une perspective évolutionniste à long terme recherchent une synthèse
possible.
Spéciste – antispécistsme ?
Mot formé à partir du latin species (espèce) et de l’anglais speciesism
(racisme), le spécisme est une idéologie qui privilégie la supériorité de l’être
humain sur les animaux. La lutte contre le spécisme, c’est l’extension du
principe d’égalité au monde animal. Le terme d’antispécisme apparaît dès
1970 en défense des animaux de laboratoire. Le spécisme peut être ainsi
défini comme un préjugé qui accorde aux individus une considération morale
différente en fonction de leur espèce et qui néglige les intérêts de certains
individus au seul motif qu’ils ne sont pas humains. Mais contrairement aux
idées reçues, la position antispéciste ne réclame pas nécessairement une
égalité des droits et de traitement.
2 juillet 1850 : première loi de protection animale dans le droit français :
Cette loi est proposée par le général de Grammont, député monarchiste, qui
a vu d’innombrables chevaux souffrir sur les champs de bataille et qui se
montre aussi sensible au sort des animaux qui travaillent dans les mines,
dans les champs ou tirent des convois et des chargements. Pour le général
Grammont, le spectacle de la cruauté à l’égard des animaux serait de nature
à banaliser et normaliser la violence entre humains. « Prévenir les mauvais
traitements, c’est travailler à l’amélioration morale des hommes. » dit-il. Il
rencontre et subit l’hostilité et les ricanements de son groupe parlementaire
mais il reçoit le soutien de Victor Schoelcher qui parvient à rassembler les
voix de l’opposition. La loi est adoptée en ces termes : « Serons punis d’une
amende de cinq à quinze francs, et pourrons l’être de un à cinq jours de
prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais
traitements envers les animaux domestiques. »
Un siècle plus tard, le décret Michelet, du nom d’Edmond Michelet, résistant,
déporté, député et ministre, étend la loi à la protection des animaux contre
les mauvais traitements à la sphère privée.
En 1972, la présidente de la SPA et députée Jacqueline Thome-Patenôtre
dépose un recueil de propositions législatives, la charte de l’animal, qui
débouche en 1976 sur la loi de « la protection des espaces naturels et des
paysages, de la préservation des espèces animales et végétales, le maintien
des équilibres biologiques auxquels ils participent et la protection des
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ressources naturelles contre toutes les causes de dégradation qui les
menacent. » Un article de cette loi, l’article L214-1, qui est intégré au Code
rural, stipule : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son
propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs de son
espèce. «
Lors de sa création en 2008, c’est en référence à cet article L214-1 du Code
rural que l’association de défense des animaux L214 choisit son nom. Celle
ci souligne le décalage qui existe entre les termes de l’article et la réalité des
conditions de détention et d’utilisation des animaux.
Le cas de la Belgique :
L’association GAIA pour Global Action in the Interest of Animals) est active
en Belgique. Parmi ses nombreux succès, elle compte aujourd’hui
l’engagement des supermarchés du pays à cesser la vente d’œufs frais de
poules élevées en cage (2008) ou l’interdiction pour les cirques itinérants de
détenir des animaux sauvages (2014). De plus la stérilisation des chats des
particuliers est obligatoire de même que la fermeture de la plupart des
élevages d’animaux pour leur fourrure avec compensation pour la
reconversion des éleveurs. Le Code introduit aussi un « permis de
détention » pour les animaux de compagnie, qui peut être retiré aux
propriétaires contrevenant aux lois de la protection animale. Il prévoit
également des peines de prison de 10 à 15 ans, ainsi que des amendes
pouvant atteindre 10 millions d’euros pour les pires actes de cruauté. Il est
aussi interdit de détenir des cétacés, d’expérimenter sur les animaux des
produits d’entretien et impose l’installation de caméras de vidéosurveillance
dans les abattoirs.
En guise de conclusion toute provisoire :
L’ensemble des faits relatés, tant sur les plans historique, philosophique,
scientifique, écologique et juridique nous oblige, nous FF. : MM. :, à engager
une réflexion sur la condition animale. Si le lien entre humanisme et
condition animale existe ; la lutte des défenseurs des animaux a souvent
rejoint celle de ceux qui ont voué leur vie à l’idéal humaniste. Il n’en reste pas
moins de nombreuses questions qui méritent réflexion et
approfondissement.
Ainsi, la vitamine B12 joue un rôle de synthèse ou de modification au niveau
des globules rouges, des acides gras, des protéines, au niveau osseux, au
niveau neuronal et même de l’ADN. Une carence en vitamine B12 a des
conséquences graves, pouvant laisser des séquelles sérieuses. Or elle est le
seul nutriment indispensable à ne pas se trouver dans le monde végétal mais
dans les viandes. Alors certains voudraient recréer de la viande en
laboratoire à partir de cellules animales. Ce procédé est appelé agriculture
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cellulaire. Est-ce une des solutions pour nourrir 8 bientôt 10 milliards
d’individus ?
Autre solution : l’élevage industriel où sont entassé des centaines voire des
milliers d’animaux, bovins (ferme des mille vaches), de porcs (les truies
encagées et sanglées) des poulets (jusqu’à 22 oiseaux par m2) pour le plus
grand profit d’entreprises financières et de leurs actionnaires et au
détriment et à la disparition des fermes traditionnelles et de leurs
agriculteurs ?
Faut-il modifier la législation administrative qui conduit à mener un
troupeau entier de vaches à l’abattoir parce que l’une d’entre elles est
atteinte de la brucellose ?
Alors que les végétariens ne représentent que 2,2% de la population, dont
0,3% de véganes, que cache un monde entièrement végane nourri
d’agriculture cellulaire où les robots remplaceront les animaux de
compagnie ?
Au nom de ce qui a été entrepris depuis 2 siècles pour la défense des animaux
en relation avec les luttes pour les droits humains, faut-il interdire les
corridas et les combats de coqs ?
L’association L214, qui a servi de lanceur d’alerte sur les conditions
monstrueuses d’abattage mais dont le budget de 7 millions d’euro dont 16%
sont issus d’une fondation américaine, distribue le fascicule « Nourrir
l’humanité, Enjeux et alternatives pour l’agriculture ». Cette brochure n’aide
pas les enfants à réfléchir, elle leur impose ce qu’ils doivent penser. À savoir
que l’élevage se résume à la violence industrielle contre les animaux, la santé
et la nature, que l’alternative à l’élevage est le refuge pour les animaux âgés,
que les aliments du futur sont la viande in vitro et les alternatives végétales.
Faut-il alors se méfier et regarder avec recul les déclarations de cette
association ?
Bien entendu, cette liste à la Prévert ne saurait être exhaustive.
Condition animale et humanisme ? Le chantier est à peine ouvert, nous FF. :
MM. : du G.. :O. :D. :F. ,: devons y tenir tout notre place. C’est un enjeu majeur
de société auquel nous ne pouvons pas rester étrangers.